Paris, 2012

Les animaux s’éparpillent dans le long tunnel sombre. Une chorégraphie parfaite les empêchant de s’entrechoquer. Chacun avançant vers son but. L’un d’eux tient dans ses mains une guitare et chante un air de fête, attendant des offrandes. Le métro.

Mr Durant est une de ces bêtes, prête à vous cracher son encre mortelle avant de s’enfuir lâchement : critique dans un grand journal Parisien.

Mr Durant n’est pas très tranquille, la veille encore il recevait une lettre de menaces suite à une des nombreuses critiques assassines qu’il faisait publier chaque jour. Critique de cinéma.

Mr Durant est très connu du grand public sous le nom d’Edgar Norton. Rien de tel qu’un nom américanisé pour vendre un peu plus et se démarquer de la concurrence (et bien sûr aussi rester dans l’anonymat).

Donc, monsieur Durant n’est pas tranquille : après tout, son ennemi n’est-il pas censé éparpiller les morceaux de son corps dans la Seine ? Monsieur Durant espère avoir mal lu la lettre de menace. Son collègue et Mentor avait tenté de le tranquilliser :

« Ça se voit que ça ne fait pas longtemps que t’es dans le métier. Des lettres comme celle-là tu en recevras tous les jours ! »

Rassurant. Savoir que tous les jours Mr Durant serait obligé de se méfier de tout. Mais critique de cinéma ça paye gros, surtout quand on est cruel.

Au lendemain du énième plan Vigipirate, les flics sont partout. Une bombe avait explosé deux jours plus tôt dans un métro de la grande ville de Londres, en plein pendant les Jeux Olympiques. « Bien sûr le terrorisme est partout » avait dit le Président, oubliant l’hypothèse qu’il s’agissait peut-être de Français mécontents que les J.O. soient anglais.

Toujours aussi ignoble dans ses critiques de film, Mr Durant avait d’ailleurs la veille fait une blague plutôt cynique sur la situation anglo-française pour un film britannique du nom très tentant : « The explosion of Life ».

Monsieur Durant longe le mur au fond de la gare. La tête baissée. Mais pas complètement. L’esprit tranquille. Mais pas du tout.

Le sang qui coule du ventre de Monsieur Durant quand un quidam lui enfonce une lame dans le bide dégouline lentement de l’acier blanc et forme une grosse auréole pourpre sur sa chemise blanche. Monsieur Durant se félicite presque d’avoir mis une cravate rouge ce matin. Une verte aurait fait tellement vulgaire avec ce sang. La mode, c’est important : même le jour de votre mort. Le film de la vie de Monsieur Durant défile devant ses yeux. Et de tous les films qu’il a critiqués dans sa vie, celui-ci est assurément le pire.

Qu’avait fait monsieur Durant de sa vie ? Il reconnaît volontiers qu’il a été un piètre metteur en scène cette existence-ci. Sans parler de son jeu d’acteur si prévisible. L’ironie de la mort l’emporte de son dernier souffle. Une fraîcheur hivernale lui caresse la nuque.

Le journal à sensation du lendemain n’en parlera même pas. Rien. Pas même une phrase ironique. Un critique assassiné dans un métro ça ne se vend pas autant que les fesses ramollies d’une actrice quarantenaire.

Ce qui n’intéresse pas ne mérite pas la critique.