Le village (1)

Personne ne lève les yeux au ciel, personne ne sourit, personne ne pleure. Personne. Pourquoi aucune pensée négative ne vient troubler le calme du Village ? La cloche de l’Église elle-même ne sonne plus l’Angélus du soir. Dans la rue principale, personne ne fait attention à cette poupée de cire brisée au milieu de la chaussée.

Qui pourrait me ramasser ? Je suis tombé jadis des bras d’une jeune fille qui courait. Elle pleurait. Elle souriait, elle levait les yeux, elle aimait, elle détestait, où est-elle ?

Non, personne ne prête attention à cette poupée de cire. Une entaille ouvre sa joue de la lèvre jusqu’à l’oreille. Défigurée. Abandonnée. Son teint pâle est souillé par la terre noire du sol, transportée jadis par les semelles des explorateurs visitant la montagne sombre. Plus personne ne prend la peine d’explorer.

Mais que peuvent avoir en tête ces villageois ? Le maire lui-même ne se montre plus, passe ses journées allongé dans son lit. Personne, pourtant, ne s’en préoccupe. Le silence. Personne ne vient le troubler. Quand on vit trop longtemps dans un environnement particulier on en oublie qu’il est particulier. En outre particulièrement silencieux. Seul la brise du soir vient effleurer la cime des plus hauts peupliers : le sifflement lointain des feuilles ne trouble pas la tranquillité de l’air.

Pourtant il y a quelque chose d’étrange dans ce village, un parfum de terreur et d’effrois. Si les murs pouvaient parler, ils raconteraient que le village n’a pas toujours été silencieux, que les gens parlaient et criaient dans les rues. Si les murs avaient des oreilles, ils ne supporteraient pas ce silence pesant. Les habitants, eux, ne s’en plaignent pas. Ils ne se plaignent jamais.

Dans ce village il n’y a pas de haine, pas de secrets, pas de remords ni de trahisons… Dans ce village il n’y a pas non plus de joie, pas d’amour, pas de confidences ni de rires. Pas de sentiment.

Un village de marionnettes désarticulées, immobiles. Tels les jouets entreposés dans une vitrine de Noël. Un Village où la peste noire a tout décimé.