La journée

Avant de s’endormir, elle repensait aux événements qui s’étaient déroulés dans la journée. Chaque geste, chaque mot qu’elle avait pu prononcer pour en ressortir du sens, analyser ses émotions et ainsi mieux comprendre le monde qui l’entourait.

Sa journée avait commencé par un rayon de soleil, traversant les rideaux gris de sa chambre à coucher, caressant sa peau asséchée par la nuit.

Après s’être levée, elle avait suivi son rituel matinal : doux étirements du corps et des membres alors que ses pieds venaient de toucher le sol, puis s’en était ensuivi un petit déjeuner copieux et coloré, mélangeant le sel et le sucre, pour enfin finir sur des squats énergiques et du yoga assouplissant.

Quand vint le moment de la douche, elle avait planifié les moments-clés de sa journée, les éléments importants de sa feuille de route, elle ne devait rien oublier : amener son fils à la crèche, préparer son repas du midi, se dépêcher de partir au travail pour n’arriver que quelques minutes en retard, appeler ses parents, poster une lettre à la poste. Rien ne devait être laissé au hasard.

Seulement, quand le hasard est mis de côté, il arrive que prenne place le destin. Et le grand engrenage du temps et des choses en devient bouleversé.

C’est sur le trajet vers son lieu de travail qu’elle avait été frappée par le sort. Dans son lit de draps de soie, elle se remémorait cet instant précis où tout avait basculé.

Alors qu’elle avait traversé la grande avenue, son téléphone portable s’était mis à vibrer, le numéro lui était inconnu. Elle avait décroché et mis le combiné à son oreille.

Bonjour madame, vous avez été sélectionnée parmi des milliers de numéros de téléphone pour tenter de gagner mille euros. Vous êtes en direct de la radio N…., et pour gagner il vous suffit de répondre à une question. Quel est votre prénom ?

Elle s’en souvenait très bien, elle avait été frappée de terreur à l’idée d’être écoutée par des milliers d’auditeurs dans leur voiture en direction du travail. Elle balbutia son prénom. L’interlocuteur avait continué.

La question est celle-ci : quelle chanson de Paul McCartney a été diffusée entre neux heures et dix heures ce matin sur notre antenne ?

Évidemment, elle n’avait aucune idée de la réponse, elle n’écoutait jamais la radio, préférant s’informer sur Internet, loin des grivoiseries des animateurs ou les publicités des annonceurs.

Elle s’était arrêtée au milieu du trottoir, les gens affairés la bousculaient un peu, elle avait porté sa main à sa tête pour se rappeler d’une chanson, n’importe laquelle à donner au DJ de la radio N…, elle s’était alors souvenue du nom de la chanson qu’elle écoutait souvent le soir en séchant ses cheveux.

Je n’ai pas pu écouter la radio ce matin… Je vais devoir tenter au hasard, je propose la chanson “Junk” de Paul McCartney.

Un court silence trop long puis le DJ plein d’entrain lui avait enfin répondu :

Dommage ! Il s’agissait de “Band On The Run”, fameux tube écrit en 1974. J’espère que vous n’êtes pas trop déçue !

Il avait conclu la conversation en lui souhaitant une excellente journée pour ensuite raccrocher.

Déçue, elle était restée un long moment debout au milieu de la foule, le temps avait passé sans qu’elle ne s’en rende compte. Elle avait regardé sa montre pour se rendre compte qu’elle était en retard de trente minutes passées. Elle se dépêcha de courir vers ses bureaux, ses talons résonnaient sur le sol.

Quand elle était arrivée dans la rue, elle avait senti une fumée noire et âcre. Des passants s’étaient arrêtés pour observer l’immeuble en flamme où se trouvait sa société. Une sirène de pompiers retentissait au loin.

Un incendie vient de se déclarer dans cet immeuble, lui avait annoncé un vieux monsieur, témoin de la scène. Elle avait échappé au pire, son retard lui avait sauvé la vie.

Elle était restée longtemps dans cette rue, croisant quelques-uns de ses collègues encore en vie, et tentant de joindre d’autres qui étaient restés coincés dans l’immeuble.

Dans son lit, n’arrivant pas à dormir, elle remerciait le ciel car pour la première fois de sa vie, sa malchance l’avait sauvée.